OGM et alimentation !
Timothée Paris & Mathis Perretant
Dune de Frank Herbert - Extrait lu
Dans la direction que désignait le Duc, entre les croissants d'ombres des dunes qui couraient vers l'horizon, se déplaçait une sorte de monticule, une crête mouvante de sable. Cela rappelait à Paul l'onde, le sillage, que produisent les gros poissons en frôlant la surface de l'eau calme des rivières.
« Un ver, dit Kynes. Un gros. » Il se retourna, saisit le micro sur le tableau de commandes et le régla sur une nouvelle fréquence. Les yeux fixés sur les cartes, audessus d'eux, il lança : « J'appelle chenille en Delta Ajax Neuf. Signe du ver. Chenille en Delta Ajax Neuf. Signe du ver. Répondez, s'il vous plaît. » Il attendit.
Le haut-parleur grésilla puis une voix retentit : « Qui appelle Delta Ajax Neuf ? Terminé. »
« Ils semblent prendre cela plutôt calmement », dit Halleck.
« Vol non enregistré, répondit Kynes dans le micro. Nord-est par rapport à vous. Distance environ trois kilomètres. Signe du ver en interception. Contact dans vingt-cinq minutes environ. »
Une voix nouvelle se fit entendre dans le haut-parleur. « Ici Contrôle Guetteur. Observation confirmée. Prêt au contact. (Un silence, puis :) Contact dans vingt-six minutes. Le calcul était précis. Qui se trouve à bord de l'appareil non enregistré ? Terminé. »
Halleck fit sauter son harnachement et s'interposa entre Kynes et le Duc. « Kynes, est-ce la fréquence normale de travail ? »
« Mais oui. Pourquoi ? »
« Qui pouvait nous entendre ? »
« Les équipes de travail, c'est tout. Cela limite les interférences. »
À nouveau, le haut-parleur grésilla avant que la première voix reprenne : « Ici Delta Ajax Neuf. Qui a droit à la prime ? Terminé. »
Halleck regarda le Duc.
« Celui qui donne le premier l'alerte a droit à une prime proportionnelle à la récolte d'épice. Ils veulent savoir… »
« Dites-leur qui a vu le premier ce ver », dit Halleck.
Le Duc acquiesça.
Kynes hésita, puis reprit le micro. « Prime de guet au duc Leto Atréides. Duc Leto Atréides. Terminé. »
Aucune intonation ne perçait dans la voix partiellement déformée par une vague de parasites lorsqu'elle répondit : « Compris. Merci. »
« Maintenant, ordonna Halleck, dites-leur de diviser la prime entre eux. Dites-leur que c'est le désir du Duc. »
Kynes inspira profondément puis obéit. « Le Duc désire que cette prime soit divisée entre tous. M'avez-vous compris ? Terminé. »
« Compris et merci. »
« J'ai oublié de vous dire, fit le Duc, que Gurney est également doué pour les relations publiques. »
Kynes se tourna vers Halleck avec une expression perplexe.
« Ainsi, les hommes sauront que le Duc est préoccupé par leur sécurité, dit Halleck. On se le répétera. Nous étions sur une fréquence locale. Il est peu probable que des agents harkonnens
nous aient entendus. (Il leva les yeux vers les appareils de couverture.) Et nous représentons une force appréciable. C'était un risque valable. »
Le Duc inclina l'orni dans la direction du nuage de sable de la chenille. « Et maintenant ? »
« Une aile portante devrait arriver et emporter la chenille », dit Kynes.
« Et si elle s'est écrasée ? » demanda Halleck.
« C'est une perte de matériel, dit Kynes. Rappro-chez-vous de la chenille, Mon Seigneur. Vous allez trouver cela intéressant. »
Le Duc s'absorba dans les commandes comme l'appareil pénétrait dans la turbulence d'air qui environnait la chenille au travail.
Paul regarda en bas. Le monstre de plastique et de métal continuait de cracher le sable. C'était comme un grand scarabée bleu et brun dont les pattes multiples étaient de larges chenillettes. Une gigantesque trompe, à l'avant, plongeait dans le sable sombre.
« A en juger par la couleur, cet endroit est riche en épice, dit Kynes. Ils vont poursuivre le travail jusqu'à la dernière seconde. »
Le Duc fournit de la puissance aux ailes qui accentuèrent encore la lente plongée de l'orni qui tournait autour de la chenille. D'un coup d'œil, il s'assura de la présence des autres appareils.
Paul observa un instant le grand nuage jaune qui s'échappait des évents de la chenille, puis il reporta son regard sur le sillage du ver, de plus en plus proche.
« Est-ce que nous ne devrions pas les entendre appeler le portant ? » demanda Halleck.
« En général, ils utilisent une autre fréquence. »
« Est-ce qu'il ne devrait pas y avoir deux portants par chenille ? demanda le Duc. Il y a bien vingt-six hommes dans cette machine, sans compter tout le matériel. »
« Vous n'avez pas assez d'équipe... », commença Kynes, puis il s'interrompit. Une voix furieuse lançait dans le haut-parleur : « Vous ne voyez pas l’aile ? Elle ne répond pas. »
Il y eut un torrent de craquements, puis un signal sonore, le silence et la première voix se fit entendre à nouveau : « Au rapport dans l’ordre ! Terminé. »
« Ici Contrôle Guetteur. La dernière fois que j'ai aperçu l'aile, elle était très haut vers le nord-ouest. Je ne la vois plus. Terminé. »
« Guetteur un : négatif. Terminé. »
« Guetteur deux : négatif. Terminé. »
« Guetteur trois : négatif. Terminé. »
Silence.
Le Duc regarda en bas. L'ombre de l'orni passait iuste sur la chenille.
« Il n'y a que quatre guetteurs, n'est-ce pas ? »
« Exact », dit Kynes.
« Nous disposons en tout de cinq appareils, plus grands. Chacun d'eux peut prendre trois hommes de plus à son bord. Quant aux guetteurs, ils parviendront bien à s'arracher au sol avec deux hommes en surcharge. »
Paul fit mentalement l'addition. « Cela nous en laisse encore trois ! »
Mais pourquoi n'y a-t-il donc pas deux portants par chenille ? » aboya le Duc.
« Vous n'avez pas assez d'équipement en réserve », dit Kynes.
« Raison de plus pour protéger ce que nous avons ! »
« Où ce portant a-t-il pu aller ? » demanda Halleck.
« Il a pu être contraint de se poser hors de vue. »
Le Duc prit le micro, puis hésita, le pouce au-dessus du bouton de contact. « Comment ont-ils pu perdre ainsi de vue un portant ? »
« Ils concentrent surtout leur attention sur le sol, pour le signe du ver », dit Kynes.
Le Duc appuya sur le contact. « Ici votre Duc, lança-t-il. Nous allons nous poser pour prendre l'équipage de Delta Ajax Neuf. Que tous les guetteurs nous imitent. Qu'ils se posent sur le côté est. Nous nous poserons à l'ouest. Terminé. » Il passa sur sa fréquence personnelle de commandement et répéta ses ordres pour les ornis de l'escorte avant de rendre le micro à Kynes. Celui-ci repassa sur la fréquence locale. Une voix jaillit aussitôt du haut-parleur : « ... presque complet d'épice ! Nous avons un chargement complet d'épice ! On ne peut pas laisser ça à ce satané ver ! Terminé. »
« Au diable l'épice ! lança le Duc. » Il reprit le micro : « Nous trouverons toujours de l'épice. Nos appareils ne peuvent emporter que vingt-trois hommes en tout. Tirez à la courte paille ou décidez de vous-mêmes quels sont ceux qui resteront. Mais vous êtes évacués. C'est un ordre ! » Il reposa violemment le micro entre les mains de Kynes, vit sa grimace de douleur et dit : « Excusez-moi. »
« Combien nous reste-t-il de temps ? » demanda Paul.
« Neuf minutes », répondit Kynes.
« Cet appareil est plus puissant que les autres, dit le Duc. En décollant avec les fusées et en mettant les ailes aux trois quarts, nous pourrions prendre encore un homme de plus. »
« Le sable est mou », dit Kynes.
« Avec quatre hommes de plus, nous risquons de casser les ailes en décollant avec les fusées, Sire », fit remarquer Halleck.
« Pas avec cet orni. » Le Duc se pencha sur les commandes. L'orni s'approcha de la chenille dans une dernière glissade. Les ailes se redressèrent et l'appareil vint se poser à vingt mètres de la chenille. Celle-ci était maintenant silencieuse. Le sable ne jaillissait plus de ses évents. Il n'en émanait qu'un faible ronflement mécanique qui se fit plus net lorsque le Duc ouvrit la porte.
Immédiatement, leurs narines furent assaillies par la senteur de cannelle, lourde, pénétrante.
Les guetteurs se posèrent sur le sable, de l'autre côté de la chenille, avec un claquement sonore.
L'escorte du Duc vint se ranger en ligne derrière lui.
Paul contemplait l'énorme chenille-usine auprès de laquelle les ornithoptères semblaient minuscules moustiques dans le sable auprès d'un monstrueux scarabée.
« Gurney et Paul, jetez ce siège dehors », dit le Duc.
Il déploya à la main les ailes jusqu'aux trois quarts, en régla l'angle et vérifia les contrôles des fusées. « Pourquoi diable ne sortent-ils pas de cette machine ? »
« Ils espèrent encore que l'aile portante va apparaître, dit Kynes. Il leur reste quelques minutes. » Son regard était fixé sur l'est. Ils l'imitèrent et ne décelèrent aucun signe de l'approche du ver. Mais l'air était lourdement chargé d'anxiété.
Le Duc reprit le micro et passa sur la fréquence de commandement. « Que deux d'entre vous se débarrassent de leur générateur de bouclier. Ils pourront ainsi prendre un homme de plus chacun. Nous ne laisserons personne à ce monstre. » (Puis, repassant en fréquence il hurla :) « Alors. Delta Ajax Neuf ! Dehors ! Tous ! Immédiatement ! C'est un ordre de votre Duc ! En vitesse ou je découpe cette chenille au laser ! »
Une écoutille s'ouvrit à l'avant de l'usine, une autre à l'arrière, une troisième au sommet.
Les hommes commencèrent à sortir, glissant et trébuchant dans le sable. Le dernier à quitter la chenille fur un personnage de haute taille en robe de travail. Il sauta sur une des chenillettes puis, de là, dans le sable.
Le Duc accrocha le micro au tableau de commandes et surgit au-dehors. Debout sur l'aile, il ordonna : « Deux hommes par guetteur ! »
Le grand personnage en robe de travail se mit alors à presser les hommes les plus proches, les entraînant vers l'appareil qui attendait de l'autre côté.
« Quatre ici. ! cria le Duc. Et quatre là-bas ! (Il désigna l'orni d'escorte qui se trouvait immédiatement derrière et dont les hommes évacuaient le générateur de bouclier.) Quatre autres hommes dans cet appareil-là ! Et trois dans les autres ! Courez donc, espèces de chiens de sable ! »
L'homme en robe de travail, ayant achevé l'évacuation de l'équipage, s'avança, suivi de trois de ses compagnons.
« J'entends le ver, mais je n'arrive pas à le voir », dit Kynes.
Ils l'entendirent alors, tous. C'était comme un frottement, un crissement, qui se faisait de plus en plus fort.
« Quel gâchis ! » grommela le Duc.
Puis les ailes de l'orni commencèrent à soulever des gerbes de sable. Et le Duc revit soudain l'image des jungles de sa planète natale. Une clairière révélée, l'envol des oiseaux charognards surpris sur la carcasse d'un bœuf sauvage.
Les hommes des sables se pressèrent contre l'appareil et commencèrent à monter à bord avec l'aide de Halleck.
« Allez, les gars ! Plus vite ! »
Paul se retrouva dans un coin, entre ces hommes dont la sueur sentait la peur. Deux d'entre eux avaient des distilles mal ajustés au cou et il classa ce renseignement dans sa mémoire pour une future utilisation. Il faudrait que son père soit plus dur quant à la discipline du distille. Les hommes avaient tendance à se relâcher si l'on ne se montrait pas vigilant pour de telles choses.
En haletant, le dernier monta à bord : « Le ver ! Il est presque sur nous ! Décollez ! »
Le Duc se glissa dans son siège, fronça les sourcils et dit : « Il nous reste encore trois minutes selon l'estimation de contact. Est-ce exact, Kynes ? » Il ferma sa porte et en vérifia le verrouillage.
« Exactement, Mon Seigneur », dit Kynes, en songeant : Il a du cran, ce Duc.
« Tout est paré, Sire ! » lança Halleck.
Le Duc acquiesça et vérifia que les appareils d'escorte avaient déjà décollé. Puis il mit le contact, jeta un ultime coup d'œil sur les ailes puis sur les commandes et appuya sur la commande des fusées.
La pression du décollage l'écrasa dans son siège, de même que Kynes, Halleck, Paul et les hommes à l'arrière. Kynes observait la façon dont le Duc manipulait les commandes de l'orni : doucement, sûrement. L'appareil était maintenant en altitude mais le Duc ne quittait pas ses instruments du regard, vérifiant parfois les ailes, d'un coup d'œil à droite, puis à gauche.
« Nous sommes chargés, Sire », dit Halleck.
« Dans les limites de tolérance de l’orni, ait le Duc.
Tu ne crois pas que je risquerais la vie de mes passagers, Gurney ? »
Halleck sourit : « Oh non, certainement pas, Sire. »
Le Duc lança l'orni dans une longue courbe ascendante. Paul, coincé dans un coin, contemplait la chenille immobile dans le sable, tout en bas. Le signe du ver avait disparu soudain à quatre cents mètres et, à présent, une sorte de turbulence commençait à se manifester dans le sable, autour de la chenille.
« Il est dessous, maintenant, dit Kynes. Ce que vous allez voir, peu d'hommes l'ont vu. Tout autour de la chenille, à présent, des gerbes de poussière se mêlaient au sable. La gigantesque machine s'inclina sur la droite. A cet endroit, un grand tourbillon de sable se formait. Il tournait de plus en plus rapidement. A quatre cents mètres à la ronde, l'air était saturé de poussière et de sable. Et ils virent !
Un large trou apparut dans le désert. Le soleil étincela sur des barres blanches et lisses.
Le trou, estima Paul, était à peu près deux fois plus grand que la chenille. Et sous ses yeux, la machine tout entière glissait maintenant dans ce gouffre ouvert dans le sable. Et le trou se résorba.
« Dieux, quel monstre ! » murmura un homme.
« Tout notre épice ! » gronda un autre.
« Quelqu'un paiera pour cela, dit le Duc. Je vous le promets. »
La voix de son père était sans expression et Paul perçut toute la fureur qui l'habitait. Et il prit conscience qu'il la partageait. Un tel gâchis était criminel !
Dans le silence qui suivit, ils entendirent Kynes qui murmurait : « Béni soit le Créateur et Son eau. Bénis soient Sa venue et Son départ. Son passage lave le monde. Qu'Il garde le monde pour Son peuple. »
« Que dites-vous là ? » demanda le Duc.
Mais Kynes garda le silence.
Paul regarda les hommes groupés autour de lui. Leurs yeux étaient tous fixés sur la nuque de Kynes et tous étaient emplis de frayeur. « Liet », murmura l'un d'eux.
Kynes se retourna et fronça les sourcils. L'homme recula.
Un autre fut pris d'une quinte de toux, sèche, déchirante. Il haleta : « Maudit soit ce trou infernal ! »
L'homme de haute taille qui était sorti le dernier de la chenille lança : « Silence, Coss ! Tu ne vaux guère mieux que ta toux. » Il bougea de façon à pouvoir fixer son regard sur la nuque de Leto. « Vous êtes le Duc Leto, je le sais, dit-il alors. C'est à vous que nous devons des remerciements pour nos vies. Avant votre venue, nous étions prêts à les achever ici. »
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